Dans les toilettes de ce block, je trouvais plus de vingt cadavres par nuit

Vers le 15 mars, je devins malade et ma température atteignit le 40° ce qui me donnait le droit d'être transféré au Revier comme malade Je remontais péniblement au KL, le soir, soutenu par les épaules de deux camarades, sous les pierres et les crachats que les jeunes enfants du village ne manquaient pas de nous envoyer. (Il est vrai que pour eux nous étions des bagnards (die Gross Bandit) des ennemis de leur patrie… Au block j'obtenais sans difficulté le bon d'entrée au Revier, sans lequel on était impitoyablement jeté sans soins dehors. Beaucoup de mes camarades en ont fait la triste expérience, hélas !

Je me présentais au Revier au moment de l'appel du matin et fus reçu par un médecin tchèque. Après examen, il diagnostiqua à la vue des quelques piqûres de poux que j'avais sur le corps : typhus exanthématique. A poils j'étais conduit au block 13 qui, séparé en deux côtés, contenait à gauche (A Flügel) des typhiques et à droite (B Flügel) des tuberculeux et autres malades. Je fus une quatrième fois, depuis que j'étais déporté, rasé de la tête aux pieds et passé au grésyl. Toujours sans vêtements on me fit monter dans un lit de bois à deux étages, j'étais dans la partie supérieure. On me remit deux cachets blancs que j'avalais avec un peu d'eau. Je devais rester quinze jours dans ce lit, tandis que je voyais mourir autour de moi ceux, véritablement atteints du typhus, me demandant toujours quand ce serait mon tour.

Comme repas une espèce de soupe au tapioca au lait, midi et soir. Comme remède toujours ces deux cachets. Pendant ces quinze jours, je trouvais dans les toilettes de ce block, chaque matin des tas de cadavres, plus de vingt par nuit. [...]

Pierre BEUVELET, Soixante années ont passé !... Un quart de siècle... Une tranche de vie !, Tome II, La Drôle de Guerre - Réseau Brutus - Prison Saint Michel - Auschwitz  - Buchenwald - Flossenburg, in « Les guerres du XXe siècle à travers les témoignages oraux », Collection Michel El Baze, réalisée dans le cadre de l’Association Nationale des Croix de Guerre, Nice, 1989, p.61