Commémorations

En ce mois de mai 1946, la France a célébré de nombreux anniversaires.

Premier anniversaire d'une victoire difficilement acquise payée du prix de nombreuses vies humaines, du prix de sacrifices inouïs, mais victoire combien prestigieuse puis qu'elle a consacrée la défaite militaire du nazisme, générateur de misères, destructeur de libertés, destructeur de l'âme même des peuples.

Premier anniversaire pour nos amis déportés, de leur retour vers la Patrie, retour qui hantait leurs rêves et qui leur paraissait si lointain, si impossible. Retour vers la France si belle malgré tous les désastres qu'elle a subis, pays de liberté, de générosité, où l'on se sent vivre ardemment, pays fidèle à sa tradition de lutte et qui malgré l'oppression terrible sut si magnifiquement se libérer par lui-même.

Anniversaires solennels des départs pour les camps de concentration : déportation de 43 enfants de la colonie d'Izieu, des premiers convois d'israélites de Pithiviers et de Beaune-la-Rolande.

Commémoration des anniversaires des morts de nos camarades, de Danielle Casanova, pures héroïnes au dévouement inlassable, au sacrifice immense.

Commémorations d'espoir, commémorations du souvenir.

Les déportés, certes, n'oublient pas toutes les souffrances qu'ils ont subies, souffrances nées de la guerre, de la terreur instituée par Hitler contre ceux qui ne voulaient pas de son régime d'oppression, souffrances nées de la terreur raciste qui voulait instaurer le régime d'une caste privilégiée et détruire tous ceux qui n'étaient pas à sa dévotion.

Aussi les déportés, conscients des dangers que courent encore la liberté et la démocratie, conscients de la lutte d'abord sourde, puis de plus en plus avouée que mènent encore certains éléments profascistes dans le but de défendre leurs intérêts de castes, ne sont-ils pas toujours satisfaits des méthodes employées pour vaincre les résistances de ceux qui étaient fervents de « l'ordre nouveau ». Des coupables et des complices de Vichy ne sont-ils pas toujours en place dans nos administrations qu'ils sabotent à leur gré. Des valets des nazis ne sont-ils pas acquittés ou condamnés à des peines légères, alors qu'ils dénonçaient les patriotes, alors qu'ils les envoyaient au poteau d'exécution ou dans les camps de concentration.

Il faut plus que jamais serrer les rangs, exiger une épuration exemplaire pour détruire les conditions qui ont permis qu'une guerre aussi atroce puisse se développer, exiger des conditions de sécurité pour la France, afin d'établir une paix solide, exiger des réparations justes, afin que la France puisse reprendre sa place de grande nation.

C'est notre vœu, à nous déportés, en ce premier anniversaire de la victoire.

Madeleine DECHAVASSINE, in Après Auschwitz, Bulletin mensuel de l’Amicale des Anciens déportés d’Auschwitz, avril-mai 1946, n°8, p.1