France - Camp - Drancy
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La cité de la Muette : un projet novateur de logements bon marché
Construite entre 1931 et 1937 par les architectes Marcel Lods et Eugène Beaudouin, la cité de la Muette s’inscrit dans les grands programmes de construction d’habitats collectifs bon marché (HBM) de l’entre-deux guerres. Elle fait partie d’un projet de l’office public de l’habitat comprenant 11 cités-jardins et destiné à offrir aux classes populaires de banlieue, confort moderne et hygiène. Le projet se veut à la pointe de la modernité dans le paysage urbain et architectural. Il implique les entreprises Ferrus et Lambert dirigées par Jean Prouvé, connu pour ses procédés modernes de construction. Son architecture se distingue par l’utilisation non plus de la brique mais de matériaux – plaques de béton et pièces métalliques – standardisés et préfabriqués, assemblés sur place. Les 1 250 logements prévus se répartissent dans 5 tours de 14 étages auxquelles sont rattachés 2 par 2 des immeubles allongés de 2 et 3 étages. Cet ensemble est appelé « le peigne », tandis que le bâtiment en fer à cheval situé au Nord-Ouest et conçu comme un lieu civique de rencontres et d’échanges, est baptisé « cour d’entrée ». Ce bâtiment est le seul qui subsiste aujourd’hui.
La cité peine à attirer les habitants, rebutés par l’aspect novateur des tours, les loyers qui restent élevés pour des ouvriers dans un contexte de crise, la mauvaise insonorisation, les problèmes d’étanchéité et l’enclavement. De plus, les équipements collectifs initialement prévus ne seront jamais construits. À partir de 1937, les tours et le « peigne » sont loués par le ministère de la Guerre pour y loger la garde républicaine mobile.
Un camp de prisonniers (juillet 1940 – août 1941)
L’ensemble est réquisitionné par la Wehrmacht en juillet 1940 afin de servir de camp de détention provisoire pour les prisonniers de guerre français et anglais. Le « fer à cheval » se prête facilement à la transformation en camp d’internement: construit sur 4 étages autour d'une cour d'environ 200 mètres de long sur 40 mètres de large, il est alors entouré de 2 rangées de barbelés et d’un chemin de ronde, tandis que des miradors sont installés à ses angles.
Un camp d’internement et de représailles (août 1941 - juin 1942)
Le 20 août 1941, suite à la grande rafle réalisée à Paris et aux arrestations massives qui se déroulent les jours suivants, 4 230 hommes au total sont transférés au camp de Drancy. Jusqu’en novembre, les conditions de vie y sont particulièrement difficiles. Les bâtiments sont inachevés, les conditions d’hygiène déplorables, la faim permanente, l’équipement mobilier et vestimentaire fait défaut. L’absence de droit de visite, les humiliations et les violences de certains gendarmes augmentent encore la détresse des internés. Incapable de gérer la situation sanitaire, une commission médicale allemande libère en novembre 1941 près de 1 000 internés, parmi les plus jeunes ou les plus malades. Peu à peu, les colis sont autorisés et le camp s’organise. Ces quelques améliorations – souvent toutes relatives et temporaires – sont le signe de la pérennisation du camp, que beaucoup pensaient provisoire. Drancy est alors administré par le préfet de police, mais toutes les décisions relèvent des nazis, en particulier de Theodor Dannecker, le chef du service des Affaires juives de la Gestapo, puis de ses successeurs Heinz Röthke et Alois Brunner.
De décembre 1941, jusqu’en mars 1942, des otages sont extraits du camp pour être fusillés au Mont-Valérien ou déportés en représailles aux actions de la Résistance. Le 1er convoi de déportés, qui part de la gare de Compiègne le 27 mars 1942 avec au moins la moitié d’internés provenant du camp de Drancy à destination d’Auschwitz, en est un exemple.
Drancy plaque tournante de la déportation des Juifs de France (été 1942 à août 1944).
A l’été 1942, la cité de la Muette, située à proximité de deux gares, devient un camp de transit, la plaque tournante de la déportation des Juifs de France vers les camps d’extermination. Décidée à l’automne 1941, organisée le 20 janvier 1942 lors de la conférence de Wannsee, la « Solution finale de la question juive » est rapidement mise en œuvre dans les pays occupés. Ce sont au total entre 70 000 et 80 000 Juifs qui sont internés au camp de Drancy, pour une durée plus ou moins longue qui varie de quelques heures à quelques jours, de l’été 1941 à l’été 1944. Environ 63 000 Juifs sont déportés depuis le camp de Drancy, de la gare du Bourget-Drancy puis de la gare de Bobigny, à destination d’Auschwitz-Birkenau principalement.
Le 22 juin 1942, un premier grand convoi part de Drancy. Les 16 et 17 juillet 1942 a lieu la grande la rafle du Vel d’Hiv ; le camp accueille aussi des femmes et des enfants. Ces derniers sont séparés de leurs parents alors que ceux-ci sont déportés en premier. Les rafles et les transferts des Juifs internés en zone sud entraînent une surpopulation qui se traduit par des conditions de vie difficiles et une détresse quotidienne provenant du rythme des départs en déportation : 31 convois partent jusqu’en novembre 1942. Entassés parfois jusqu’à 85 par chambrée, les internés souffrent de la promiscuité, de la faim, des maladies et des parasites qui se propagent. Des trafics se développent et le marché noir, organisé avec la complicité des gendarmes, reste le seul moyen de se procurer des denrées interdites ou d’améliorer le quotidien pour qui ne reçoit pas de colis. Jusqu’en juillet 1943, la vie du camp alterne entre des périodes de déportation intenses et d’autres plus calmes, les conditions de détention varient au gré des autorités allemandes et françaises qui peuvent du jour au lendemain retirer un privilège qui avait été accordé. L’enseignement pour les enfants, par exemple, est autorisé à certaines périodes et supprimé à d’autres. Tout est réglementé : l’accès à la cour et aux toilettes, la tenue vestimentaire, les corvées...
En juillet 1943, le nazi Aloïs Brunner entouré d’une équipe de SS prend la direction du camp et renvoie les gendarmes à l’extérieur du camp, où ils sont cantonnés à la surveillance des abords. Comme les nazis l’ont fait dans les camps de concentration, Brunner fait reposer une partie de l’administration du camp sur les internés, afin de les opposer entre eux et les tromper. Pour les mêmes raisons, Aloïs Brunner entreprend une restructuration du camp mais son objectif est de déporter le plus grand nombre de Juifs. Outre des travaux d’aménagement, il élabore un classement des internés en différentes catégories, notamment déportable (B) ou protégé (C), le basculement de l’une à l’autre pouvant s’effectuer très rapidement. Parallèlement la violence contre les internés est permanente. À partir de mi-septembre, un groupe d’internés ayant accès à des outils entreprend de construire un tunnel. Celui-ci est découvert début novembre et les responsables déportés.
Au début de l’été 1944, devant la progression des forces alliées, des milliers de Juifs sont acheminés à Drancy depuis les villes du Sud pour être déportés. La dernière grande rafle a lieu du 21 au 25 juillet1944, dans des foyers d’enfants de l’Union Général des Israélites de France (UGIF). La majorité des 250 enfants raflés est déportée le 31 juillet 1944 par le convoi 77. Le dernier convoi part de Drancy le 17 août. Les déportés sont emmenés à pied à la gare de Bobigny par Brunner et ses hommes, qui ont brûlé les archives du camp. Deux internés parviennent heureusement à sauver le fichier des noms. Le camp est alors confié à la Résistance. En concertation avec l’UGIF et la Croix rouge, les internés quittent le camp à partir du 18 août avec un colis, un peu d’argent, une carte d’alimentation et un certificat de libération contresigné par la Croix-Rouge. Le 20 août, les derniers internés sont libérés.
Chronologie
1931-1937 : Construction de la cité de la Muette par les architectes Marcel Lods et Eugène Beaudouin.
Juillet 1940 : Inachevé, le bâtiment en forme de U est réquisitionné par les allemands pour y interner des prisonniers de guerre français et britanniques.
20-25 août 1941 : 4 230 hommes juifs sont arrêtés et transférés au camp de Drancy sur ordre des Nazis.
Novembre 1941: En raison des conditions d’hébergement, d’alimentation et d’hygiène extrêmement difficiles qui règnent dans le camp, plus d’un millier de malades sont libérés par les Allemands.
14 décembre 1941 : En « représailles » à des attentats de la Résistance, 44 Juifs sont extraits du camp de Drancy et fusillés au Mont Valérien.
27 mars 1942 : Départ du premier convoi de Juifs déportés de France depuis le camp de Compiègne-Royallieu à destination du camp d’Auschwitz avec la moitié d’internés du camp de Drancy.
22 juin1942 : Le premier grand convoi de déportation quitte le camp de Drancy pour le camp d'Auschwitz. Drancy devient le principal camp de transit des Juifs de France déportés dans les camps d’extermination nazis situés en Pologne.
Juin 1942 : Le port de l’étoile jaune est rendu obligatoire dans le camp.
16/17 juillet 1942 : Suite à la rafle du Vel d'hiv, 1 989 hommes et 3 003 femmes sont dirigés vers le camp de Drancy, placé désormais sous la responsabilité de Heinz Röthke, en charge des Affaires juives de la Gestapo. La vie du camp est alors rythmée par l’arrivée de nouveaux internés et le départ incessant des convois de déportation.
Août-Septembre 1942 : 10500 Juifs de zone sud provenant des camps d’internement, des Groupes de travailleurs étrangers et des rafles (notamment celle du 26 août) arrivent au camp de Drancy, livrés par les autorités françaises.
14 août 1942 : Les enfants qui jusqu’alors avaient été épargnés sont désormais également déportés.
Juin 1943 : Aloïs Brunner devient commandant du camp et cantonne les gendarmes français à l'extérieur du camp. Il réorganise le camp, améliore en apparence les conditions de vie, renforce l'administration juive du camp mais use de violence et de terreur avec comme objectif unique d’arrêter et de déporter le plus grand nombre de Juifs.
Juillet 1943/Mars 1944 : Les camps de travail annexes de Drancy ouvrent leurs portes : Lévitan le 18 juillet 1943, Austerlitz le 30 octobre 1943 et Bassano le 15 mars 1944. Suite au bombardement de la gare de Drancy, c’est de la gare de Bobigny que part le convoi du 18 juillet.
31 juillet 1944 : Le dernier grand convoi de déportés part pour Auschwitz.
17 août 1944 : Le dernier convoi quitte Drancy pour Buchenwald. Les nazis quittent le camp, qui est libéré de fait.
Mémorial de la Shoah
http://drancy.memorialdelashoah.org/le-memorial-de-drancy/
Références
Annette Wieviorka et Michel Laffitte, Histoire du camp : A l’intérieur du camp de Drancy, Paris, éditions Perrin, 2012
Zacharie Mass Témoignage d’interné : Passeport pour Auschwitz. Correspondance d’un médecin du camp de Drancy, préface de Jacques Chirac, Paris, Le Manuscrit, 2012 (Coll. Témoignages de la Shoah, FMS).