Varsovie (juin 1942) : un plan d'ensemble qui consiste à exterminer les Juifs

La nuit du 10 juin 1942 sera inscrite en lettres de sang dans l'histoire du ghetto de Varsovie. Il semble qu'il avait été décidé de liquider la contrebande des marchandises à travers le Mur au moyen de la terreur et d'assassinats en masse, à tout prix. Des douzaines de contrebandiers furent liquidés cette nuit, de la manière habituelle : on les arrêtait et les fusillait dans la rue. D'autres contrebandiers furent tués près du Mur pendant la nuit et au petit jour. Frankenstein l, déguisé en Juif et portant un brassard juif, fusilla plusieurs Juifs avec une mitraillette qu'il avait cachée dans un sac. Il en fut de même dans le Petit Ghetto, rues Krochmalna et Czelpla. Il semble que le plan d'ensemble consiste à exterminer les Juifs des grandes villes de Pologne en les affamant systématiquement. En arrêtant la contrebande, ils obligent les Juifs à se contenter de leurs rations, c'est-à-dire de quelques grammes de pain sec. Hier et aujourd'hui, des Allemands camouflés et cachés sur les toits tiraient sur les contrebandiers. Mais ceux-ci n'ont pas peur des balles. L'un d'eux a dit à un ami, ce matin, qu'il valait mieux être tué par une balle que de mourir de faim ...

Les nouvelles continuent d'affluer sur l'extermination systématique des enfants et des vieillards juifs. Ce qui s'est passé dans les provinces orientales est maintenant arrivé à Biala Podloska , où soixante wagons d'enfants et de vieillards ont disparu. Il ne s'agit pas d'un camp, mais de l'annihilation pure et simple des très vieux et des très jeunes. Les Juifs qui ne peuvent pas travailler au service des Allemands sont inutiles. Ils sont les premiers à être exterminés. Si l'on excepte le pharaon qui ordonna de jeter dans le Nil les nouveau-nés hébreux, cela est sans précédent dans l'histoire juive. Au contraire: dans le passé, quel qu'ait été le sort des adultes, les enfants gardaient toujours le droit de vivre - pour être convertis à la foi chrétienne. Même dans les temps les plus barbares, une étincelle humaine luisait dans les cœurs les plus durs, et les enfants étaient épargnés. Tout autre est la Bête hitlérienne. Elle dévore ceux qui nous sont le plus chers, ceux qui sont le plus dignes de pitié: nos l enfants innocents.

L'historien de l'avenir aura à consacrer un chapitre au rôle de la femme juive pendant la guerre. C'est grâce au courage et à l'endurance de nos femmes que des milliers de familles ont pu subsister pendant ces temps amers. Depuis quelque temps, on constate un fait remarquable: dans certains Comités de maison, les femmes remplacent les hommes, qui sont à bout de forces. Certains Comités de maison sont maintenant dirigés uniquement par des femmes. Le travail social a besoin de forces fraîches; la question des réserves est essentielle dans ce domaine.

Emmanuel RINGELBLUM, Chronique du Ghetto de Varsovie, Traduit de l'anglais par Léon Poliakov, Paris, Petite Bibliothèque Payot, 1995, pp.