Varsovie (14 novembre 1941) : le spectacle le plus terrible est celui des enfants gelés

Les premiers froids sont déjà là, et la population frissonne. Le spectacle le plus terrible est celui des enfants gelés. Enfants aux pieds nus, aux genoux nus, en haillons, pleurant dans la rue. Aujourd'hui le 14 j'ai entendu sangloter de froid un petit de trois-quatre ans. Demain matin, l'enfant sera probablement mort de froid. Au début d'octobre, lorsque la première neige est tombée, près de dix-sept enfants ont été trouvés morts de froid dans les escaliers des maisons ruinées. Cela devient un phénomène banal. La police a l'intention d'ouvrir une institution spéciale, 20, rue Nowolipie, où seront hébergés les enfants, mais entre-temps les cris des enfants sont une espèce de bruit de fond permanent, au ghetto. On voit des cadavres d'enfants recouverts par les splendides affiches imprimées lors du Mois de l'Enfant, avec les devises: « Nos enfants doivent vivre » « L’enfant est la chose la plus sacrée ». De la sorte, les gens expriment leur protestation contre la carence du Centos, qui n'a rien fait pour créer une maison pour ces enfants et les sauver de la mort. Surtout lorsqu'on sait que le Centos a déjà encaissé, grâce à la taxe postale et la taxe sur les cartes de pain, près de 1 million de zlotys. Une énorme publicité a été faite pour le Mois de l'Enfant; les affiches, qu'on changeait tous les deux-trois jours, ont coûté une fortune; des concerts et des galas de charité furent organisés. Mais l'opinion publique du ghetto n'a pas été entraînée. Les Comités de maison sont pratiquement restés en dehors, ils n'ont réuni que la somme ridicule de 50000 zlotys. Les frais de la campagne ont été du même ordre de grandeur. De plus, les gens ont été désagréablement frappés par les viles flatteries adressées aux gros bonnets du Conseil juif, à commencer par le président, qui à la séance d'ouverture de la campagne, a été sacré Premier Citoyen du Quartier juif par le Dr. Wielikowski. Sacrer Premier Citoyen un administrateur aussi notoirement mauvais que Czerniakow réclame autant de courage que de bassesse. Cela a également été fait à d'autres occasions, afin de trouver grâce aux yeux du président.

Il en est autrement en ce qui concerne l'IGA, la Société d'entraide juive. Cette association, qui a lancé les Comités de maison, et qui a su intéresser l'opinion publique au problème de l'aide sociale, est une épine aux yeux des potentats du Conseil, qui s'efforcent de l'étouffer. L' 1 G A, déclarent les conseillers, est le principal foyer d'opposition au Conseil. Il est vrai que les activités du Conseil sont sévèrement critiquées aux réunions des Comités de maison, mais c'est la faute de sa politique, dont le caractère de classe est évident, ainsi que la tendance de faire supporter toute la charge des impôts par les pauvres, et d'exempter les riches. L’IGA est la seule institution du ghetto où règne la liberté de pensée, où est possible une franche critique du Conseil et de ses combines. [...]

Emmanuel RINGELBLUM, Chronique du Ghetto de Varsovie, Traduit de l'anglais par Léon Poliakov, Paris, Petite Bibliothèque Payot, 1995, pp.