Un pou… Ta mort…

Il nous arrivait de nous endormir le samedi après- midi ; ce n’était pas des sommeils de longue durée. Le Blockfriseur nous réveillait pour nous faire raser et nous couper les cheveux. Ce travail était effectué par une dizaine de camarades français, yougoslaves ou tchèques en échange d’une soupe supplémentaire qui leur était versée à la fin de la journée. Les rasoirs utilisés ne coupaient pas. Comme nous avions des barbes de huit jours, nous passions quelques minutes assez douloureuses. Les tondeuses n’étaient pas en bien meilleur état et nous arrachaient les cheveux. Nous étions tondus à ras tous les deux mois. Dans l’intervalle, chaque semaine, on nous faisait au milieu de la tête du front jusqu’à la nuque, une raie de la largeur de la tondeuse et que nous appelions « l’autostrade ».

Une fois tous les détenus du Block tondus et rasés, la visite des poux commençait. Le Blockfriseur s’asseyait sur un tabouret. Devant lui était placé un autre tabouret sur lequel il nous fallait monter à la suite les uns des autres après nous être entièrement déshabillés. Le Blockfriseur nous examinait à loisir jusque dans les endroits les plus intimes.

Pendant cette inspection, deux détenus allemands assis de chaque côté du Blockfriseur examinaient l’un notre chemise, l’autre notre caleçon.

La découverte d’un pou pour un détenu pouvait avoir des conséquences désastreuses. Une affiche placardée à l’entrée des Block avertissait du danger. Elle portait ces mots : « Un pou... Ta mort... ». Dans un angle était dessiné un gigantesque pou ; dans l’angle opposé une tête de mort. Un détenu sur lequel on avait trouvé un pou était soumis à un régime différent suivant les saisons. En été, il devait subir dans les lavabos une douche qui durait plus d’une heure au gré du chef de Block. L’eau utilisée captée dans les montagnes, était glaciale ; une douche prolongée pouvait entrainer la mort. L’hiver, le détenu était mis dehors, entièrement nu ; un pou ne résiste pas à un froid de - 25° ; un homme a de sérieuses chances d’en faire autant.

Paul TILLARD, Mauthausen, Paris, Editions sociales, 1945, p. 53