Un concours de poésie écrite dans le camp

L'idée de donner un festival de poésie française allant de Charles d'Orléans aux poètes de la Résistance, est née de nos discussions à la table 2 du bloc 34. Sa réalisation se heurtait à bien des difficultés pratiques. Nous devions en informer la Direction Clandestine, ce qui se faisait par l'intermédiaire d'agents de liaison et demandait beaucoup de temps, puis il fallait prendre de multiples contacts afin de trouver qui savait par coeur et pouvait dire tels ou tels poèmes, organiser l'ordre chronologique du déroulement de la séance, lutter contre le refus de camarades qui pensaient inutile cette festivité s'adressant à des hommes épuisés de fatigue, de faim et de froid. La séance fut un succès et c'est debout que spontanément nos camarades ont écouté les derniers poèmes, ceux de la Résistance, dans le flugel A du Bloc 34.

Alors l' idée a germé de procéder à un concours de poésie écrite dans le camp. C'est dans les Waschraurn que nous nous rencontrions pour en étudier les modalités pratiques. C'était le lieu le plus commode et le mieux secret, qui ne sentait pas plus mauvais que le camp lui‑même et avait l'avantage d'être franchement ce qu'il était. C'est parmi nos camarades accroupis que s'élaboraient nos projets culturels et parfois nous rêvions à ce que serait la Culture de notre peuple libéré. Nous y avons eu des discussions passionnées, parfois orageuses, des confrontations d'écoles et de tendances sous le regard pénétrant de Julien Cain, directeur de la Bibliothèque Nationale, qui souvent assistait à nos débats avec un calme olympien. Le petit comité de lecture reçut un nombre impressionnant de poèmes de toutes sortes, de diverses qualités, tous émouvants et souvent maladroits et quelques‑uns fort beaux. Ce fut Jean GANDRAY‑RETY qui remporta le prix. Symbolique évidemment. Et il vint lire son grand poème dédié à la France lors de la séance qui clôtura le concours, un dimanche soir, avant l'appel au Bloc 34.

Parallèlement à ces activités d'ordre général bien d'autres s'effectuèrent qui eurent pour auditeurs des publics beaucoup plus restreints. Pineau parla de la poésie de Valéry à notre table. J'y fis une conférence sur l'évolution de la peinture en France au travers des siècles. Il nous arrivait durant les longues heures passées debout sur la Place d'Appel, dans le vent glacé, de parler des destinées possibles de la Culture avec un, deux camarades. Pour certains ce fut l'éveil à des activités humaines qui jusqu'alors leur avaient été étrangères

Pris dans l'action collective de la Résistance, jamais nous n'avons cessé d'être des intellectuels, des artistes, et nous avons assumé en tant que tels nos obligations politiques et militaires, sans renoncer d'être ce que nous étions par formation, par éducation, par choix et par goût.

Boris TASLITZKY, Le Serment, n° 132, janvier-février 1980