Tellement malade que je passais treize jours dans le coma (Kommando de Janinowitz)

L'épidémie de typhus, survenue après l'arrivée du deuxième convoi, changea la vie du camp. Les cent six déportés de ce convoi surtout des Polonais et des Russes, avaient déjà beaucoup soufferts. Les premières fois où nous sommes passés près du trou où l'on jetait les ordures, il se trouvait toujours deux ou trois d'entre eux qui sautaient dans ce trou, ramassaient un trognon, le frottaient sur leur pantalon pour le dégager de la saleté et ils se mettaient à le manger. De même nous avons vu deux Hollandais décharnés, incapables de faire aucun travail, assis continuellement sur un banc, attendant la mort. Ils vendaient leur ration de pain pour une cigarette. Ce qui ne s'était jamais fait jusqu'alors. La vermine se propagea. Je me souviens d'avoir profité d'un dimanche très ensoleillé pour m'asseoir dehors et faire la chasse aux poux. J'ai enlevé ma chemise et j'ai compté plusieurs centaines de lentes accrochées aux poils de mon corps ou cachées dans les coutures de ma chemise. [...]

Le 13 janvier, j'étais atteint à mon tour, par le typhus et tellement malade que je restai treize jours dans le coma [...] Je passai cette période sans soins, sans remèdes, sans nourriture, et je dois la vie au dévouement d'un jeune Français, Laurent Alibert. Il avait son lit près du mien. Il me soigna avec la délicatesse d'une maman. Tous les midis, il allait chercher ma soupe. Avec le dos de la cuillère il me desserrait les dents afin que je puisse l'ingurgiter. Quand il racontait la chose, après ma maladie il me disait, dans son style : « Parfois tu déconnais (sic) à chanter des cantiques et pour que je puisse te faire avaler la soupe, je devais te donner des petites tapes sur la joue ». Il m'a rendu ce service pendant une quinzaine de jours. Mieux encore ! Il allait tous les soirs chercher une bassine d'eau, il soulevait ma couverture et l'écartait pour rouler mon corps sur le côté. Il raclait alors toute la saleté accumulée sur la paillasse et me lavait le derrière comme une maman lave son bébé. Sans aucun linge pour me sécher, il me remettait sur la paillasse. J'avais au coccyx une escarre si grande que quatre mois plus tard, à la Libération, elle saignait encore. Il paraît qu'un médecin allemand serait passé par là ; il aurait relevé la couverture, essayé de remuer mon corps en le poussant avec son pied et dit en conclusion : « Rien à faire laisse le crever ! ».

Quand le 27 janvier (journée où le thermomètre est descendu à -29°), j'ai repris connaissance, je constatais ce que Laurent faisait pour moi. Il continua d'ailleurs pendant quelques jours l'aide que nécessitait l'extrême faiblesse où je me trouvais. De ce fait, nous avons beaucoup fraternisé. Nous nous sommes dit, l'un à l'autre, notre vie passée et nos projets d'avenir.

Louis POUTRAIN, La déportation au cœur d'une vie, Les Editions du CERF, Paris, 1982, p.150