Première confrontation avec la vie concentrationnaire à Deblin

Je nous revois, grimpant dans des camions. […] Les derniers Juifs rescapés, nous avons tous été emmenés et internés dans notre premier camp, le camp de Demblin.

Première confrontation avec la vie concentrationnaire. Camp de travail, pas encore d’extermination. Tous les adultes ont été employés dans les centres militaires des environs. Les enfants participaient également, mais restaient sur place. Le commandant du camp occupait un pavillon à l’entrée de celui-ci. Avec animaux domestiques, poules et lapins. J’étais employé chez lui et avais pour tâche, entre autres travaux domestiques, de leur donner à manger et cela me plaisait bien. Autant que je me souvienne, c’était considéré comme une situation privilégiée, car cela pouvait me valoir quelques avantages, selon l’humeur du commandant.

Longue période, me semble-t-il, relativement tranquille, avec des conditions de vie supportables. Les travailleurs sortaient tous les jours, ainsi nous parvenaient des nouvelles de l’extérieur.
Je me souviens de l’espoir qui est né lorsque nous avons appris la nouvelle de la défaite allemande à la bataille de Stalingrad. Quelle euphorie ! […]
Le temps a passé. Rien ne s’est produit. La lueur entrevue a vacillé et s’est éteinte. Après tant d’espoir, le découragement a gagné nos cœurs.

Progressivement, l’atmosphère à l’intérieur du camp devenait plus oppressante. Les hommes rentraient le soir tendus et inquiets. […]

Au lointain, le bruit du canon devenait de plus en plus perceptible. Ce matin, personne ne s’est rendu au travail. Dans le camp, l’atmosphère était lourde, chargée de craintes et en même temps d’espoir. Un ordre à tous les internés de se rassembler devant leur Block. Pour le premier départ, une liste de noms, rien que des hommes. Je faisais partie de la liste. Un moment de panique. Cela n’a pas duré longtemps, mon grand-père se tenait près de moi. Il s’était porté volontaire. Nous étions en colonnes devant la fenêtre du baraquement. Maman et ma cousine Esterel, leurs ballots d’affaires empaquetées près d’elles, nous regardaient. Lorsque nous avons reçu l’ordre de partir, j’ai regardé vers maman.
Son visage était tourné vers l’intérieur, elle ne nous regardait pas. Je me rappelle en avoir été étonné, chagriné. Sur le moment, je n’ai pas réalisé que c’était pour nous cacher ses larmes. Elle ne pensait pas nous revoir un jour.
Mon grand-père à mes côtés, il me protégeait, rien ne pouvait m’arriver. Le trajet jusqu’au train, l’embarquement dans les wagons, aucun souvenir.

Henri ROZEN-RECHELS, Je revois… Un enfant juif polonais dans la tourmente nazie, Paris, Le Manuscrit, Collection Témoignages de la Shoah, 2012, pp.69-71