Le Revier n'était rien de moins que l'antichambre du crématoire

En outre, le travail à l'usine de Flossenburg présentait un danger supplémentaire : nous ne travaillions que des alliages spéciaux en duralumin dont la moindre égratignure provoquait un début d'empoisonnement, chaque blessure nous obligeait à tenir pendant plusieurs semaines le doigt bandé... avec du papier et souvent, en nous rendant à l'infirmerie pour nous faire soigner, nous étions obligés de repartir sans que l'on se soit occupé de nous, étant donné le nombre considérable de blessés. D'ailleurs, l'odeur nauséabonde se dégageant des plaies de toute cette foule qui attendait l'application d'un malheureux pansement est absolument indicible, et ne nous encourageait pas à rester.

Le « Revier » de Flossenburg n'était rien de moins que l'antichambre du crématoire. Certes, les médecins français et autres, qui y étaient employés, se dépensaient sans compter pour leurs compagnons d'infortune et on ne saurait rendre suffisamment hommage à des camarades tels que Bergemon (qui fut renvoyé parce qu'il refusa d'exécuter les ordres du médecin S.S.) Michelin, Perret, Baumlaers, Amigas, ce dernier mort, quelques jours après la libération, du typhus contracté en soignant inlassablement les malades.

Mais, en dépit de tous leurs efforts, le médecin SS, le « Sturmbannfûhrer » Schmidt (arrêté à l'heure actuelle), était tout puissant et lorsqu'il décidait qu'un « convalescent » devait retourner au travail, il n'y avait plus qu'à s'incliner. Schmidt brillait surtout par une autre spécialité. C'était incontestablement un excellent chirurgien, mais il opérait essentiellement à mauvais escient pour « se faire la main ». Un jour, ressentant de violentes douleurs à l'estomac et de grands maux de tête, je descendis au « Revier » pour essayer d'avoir un peu d'aspirine, j'eus le malheur de tomber sur Schmidt qui décida tout simplement de m'opérer à l'estomac. Heureusement le lendemain matin, Michelin et Marx purent me faire sortir. Mais il s'en fallut de peu.

Un autre cas suffira à vous fixer amplement : un détenu polonais, nouvellement arrivé, avait subi, avant la guerre, une grave intervention avec ablation de l'estomac, de la rate et de 30 cm. du duodénum. Il commit l'imprudence de le dire à Schmidt, dans l'espoir de se voir exempté de travail. Celui-ci, qui n'avait jamais vu un individu sans rate, voulut savoir comment l'opération avait été faite, pratiqua une nouvelle incision au même endroit, regarda, et recousit le tout : 15 jours après le Polonais mourut.

De l'Université aux Camps de Concentration : Témoignages Strasbourgeois, Ouvrage collectif, Paris, Les Belles-lettres, 1947, pp.293-294