La place est nette comme si rien ne s’était passé là

A la fin d’août 1944, des milliers de femmes polonaises, simples évacuées de la ville de Varsovie, et plusieurs centaines de juives hongroises mourantes, arrivent au camp. On installe une tente sur une dépression marécageuse où il n’avait pas été possible de construire un block. On y entasse à même le sable ces nouvelles venues, puis des françaises et, plus tard, tout un groupe de Gitans, vieillards, femmes et enfants ; sans eau et sans lumière, quelques tinettes étaient disposées dehors autour de la tente. De cet infâme cloaque, on retire une dizaine de mortes chaque matin.
En février 1945, un cordon de SS, mitraillette au poing, prend position tout autour de la tente, jour et nuit, sous de puissants projecteurs. Une Française relate comment une nuit de février, les SS firent irruption dans la tente et emmenèrent les Gitans, les enfants d’abord, en les arrachant à leurs mères hurlantes, puis les adultes. On ignore leur nombre exact. Deux autres groupes, au moins, de femmes épuisées furent emmenés de jour. Environ 60 dans chaque groupe.
A la fin de février ou au début mars, en deux jours, la tente est démontée, l’amas d’immondices enlevé ; la place est nette comme si rien ne s’était passé là.

Anise POSTEL-VINAY, « Les exterminations par le gaz », Annexe 1, in Germaine Tillion, Ravensbrück, Le Seuil, Point histoire, 1988, p. 354