Il faudra que je me souvienne

Il faudra que je me souvienne
Plus tard, ces horribles temps
Froidement, gravement, sans haine,
Mais avec franchise pourtant.

De ce triste et laid paysage
Du vol incessant des corbeaux,
Des longs blocks sur ce marécage,
Froids et noirs comme des tombeaux.

De ces femmes emmitouflées
De vieux papiers et de chiffons
De ces pauvres jambes gelées
Qui dansent dans l’appel trop long.

Des batailles à coups de louche,
A coups de seau, à coups-de-poing,
De la crispation des bouches
Quand la soupe n’arrive point.

De ces « coupables » que l’on plonge
Dans l’eau vaseuse des baquets,
De ces membres jaunis que rongent
De larges ulcères plaqués.

De cette toux, à perdre haleine,
De ce regard désespéré
Tourné vers la terre lointaine,
O mon Dieu, faites-nous rentrer.
Il faudra que je me souvienne….

Micheline MAUREL, La Passion selon Ravensbrück, Paris, Editions de Minuit, 1965, p. ?