Deux méthodes générales d'extermination : la carrière et le « Bettenbau »

Dès que les bâtiments furent construits (et à ce moment Flossenburg vit les premiers arrivages de détenus polonais) les SS soumirent les détenus à deux méthodes générales d'extermination : la carrière et le « Bettenbau », c'est-à-dire l'art de construire un lit.

Nous n'insisterons pas davantage sur la carrière où les détenus durent se rendre tous les matins pieds nus, les chaussures dans la main et où des milliers d'entre eux, lors des hivers particulièrement rudes de Flossenburg, continuellement astreints au « Laufschritt » (pas de course), épuisèrent le restant de leurs forces. Ajoutons simplement qu'en dehors des mesures ordinaires du travail de carrière, l'aménagement du camp se poursuivait. [...]

Le « Bettenbau », si invraisemblable que cela puisse paraître causa à Flossenburg plus de victimes encore que la carrière, le « Steinbruch ». Il fut la méthode d'anéantissement que la cruelle ingéniosité des SS adopta : punir les voleurs de grands chemins, les « Landstreicher » en les astreignant à faire tous les matins un lit impeccable. Quant aux internés politiques étrangers ou allemands, qui avaient eu l'audace de s'opposer, directement ou indirectement, à l'expansion du national-socialisme, il fallait, non seulement les punir en leur octroyant rationnellement pendant des mois et des années une quantité de nourriture légèrement inférieure au strict minimum vital et en les faisant travailler péniblement sous les coups ; il fallait, en outre, leur faire supporter la honte de la promiscuité des « communs » et leur infliger les moyens de répression qu'un régime respectant un tant soit peu l'individu, quel qu'il soit, n'aurait même pas appliqué à ces « communs » !

Tous les matins à 4 h. 1/2 les détenus, sautant du lit, (à une époque où chacun avait un lit à lui tout seul et toujours le même, avaient dix minutes pour le faire. Chacun possédait deux couvertures, un drap et une palette destinée à égaliser la paille. Pendant 10 minutes, chacun, dans le silence le plus complet, crispé par l'angoisse de faire un travail dont le S.S. se déclarerait insatisfait, aplanissait la paillasse, tendait le drap, étendait les couvertures, les bordait, de façon à ne provoquer aucun dénivellement, repliait le drap dépassant la couverture du côté de la tête du nombre de centimètres prescrits (et ceci au millimètre près), et devait « obtenir » non seulement un lit absolument plat mais, en outre, d'un niveau rigoureusement égal à celui des autres. Aussitôt après, les deux Blocksfûhrer SS dirigeant chaque block, contrôlaient avec une attention scrupuleuse la confection des lits, dont chacun portait le matricule de son occupant. Les « récalcitrants » étaient appelés et alignés ; l'un après l'autre, attaché sur le chevalet spécialement conçu pour que le patient soit fortement tendu en angle droit, recevait les 25 coups de matraque réglementaires, appliqués avec une sauvagerie inouïe. Fréquemment les détenus, plutôt que de défaire le soir un lit jugé convenable, couchaient à même le plancher. Beaucoup de ces malheureux partaient donc pour la carrière, absolument incapables par suite de la torture subie de fournir l'effort exigé d'eux : nombreux étaient ceux qui étaient achevés ; nombreux étaient ceux qui, las de cette vie où ils ne trouvaient aucun moment de calme, sortaient intentionnellement des rangs en marche pour se faire abattre par le SS ; nombreux étaient ceux qui, désespérés, s'approchaient lentement, la nuit, des barbelés électrifiés et s'y accrochaient, délivrés. [...]

De l'Université aux Camps de Concentration : Témoignages Strasbourgeois, Ouvrage collectif, Paris, Les Belles-lettres, 1947, pp.291-292