Avec de tels compagnons, les heures de mélancolie ne pouvaient durer

Affecté au bâtiment 9, je fis plus ample connaissance avec divers détenus, entr'autres avec le docteur Paul Lagey, de Vitry-la-Ville. Ce brave docteur était connu de tout l'étage pour son moral inébranlable. Chantant et blaguant à longueur de journée, il agaçait singulièrement les surveillants. L'un d'eux, pour l'intimider, lui annonça qu'il allait être fusillé. Le gardien avait à peine refermé sa porte que notre joyeux docteur m'interpellait pour se moquer de la stupidité de l'Allemand.

Avec de tels compagnons, les heures de mélancolie ne pouvaient durer et la bonne humeur reprenait ses droits.

Après quelques jours, je fus placé au bâtiment 12, réservé à l'aumônerie du camp. J'y trouvai le Révérendissime Père Abbé de l'Abbaye de Bellocq, le R.P. Grégoire, prieur, l'abbé L'Hermite, curé âgé de 70 ans, arrêté pour avoir marié un prisonnier évadé, – le maire de la commune a d'ailleurs subi le même sort –  l'abbé Alfred Caron, curé de la Somme, condamné pour avoir célébré un office religieux pour le repos de l'âme d'aviateurs anglais tombés sur sa paroisse, ainsi que Monsieur le chanoine Bordes, Vicaire-Général de Dax. Ce dernier fut rappelé de Buchenwald à Paris peu après notre arrivée dans ce camp pour un complément d'information ; ayant voulu prendre la défense d'un jociste, il fut, m'a-t-on affirmé, de nouveau dirigé sur un camp de concentration. Une rafale de mitraillette imposa bientôt silence à ce courageux protestataire.

Parmi les nombreux autres prêtres alors internés avec l'abbé Bourgeois, professeur au Séminaire de Besançon, il y avait le R.P. Renard, trappiste, qui était passé dix fois à la baignoire. Sa santé, très ébranlée, ne résista pas aux fatigues du voyage, il mourut en arrivant à Dora.

C'est surtout avec l'abbé Amyot d'Inville que j'entretins les relations les plus suivies. Il devait d'ailleurs être l'âme de la résistance spirituelle au camp de Dora et mourir de son dévouement sacerdotal.

La plupart de mes amis d'Épernay partirent déjà de Compiègne le 22 janvier pour Buchenwald. Je fis partie du convoi du 27. Après une fouille minutieuse, nous fûmes mis à 2 000 dans un bâtiment spécial et, le lendemain, nous fûmes dirigés vers la gare de Compiègne.

Le trajet du camp à la gare se fit sous bonne escorte : un SS était posté à peu près tous les deux mètres et de chaque côté de la colonne. Il paraît que des évasions lors des transferts avaient été fréquentes. De braves Compiégnoises passaient le long de la colonne et prenaient au bras un détenu avec lequel elles partaient dans une rue adjacente à la Grand'Rue qui mène à la gare. Ce fait m'a été confirmé par plusieurs déportés partis plus tôt et retrouvés à Buchenwald. On comprend dès lors le déploiement des forces de police et l'absence totale de civils dans la rue, celle-ci ayant dû être vidée par ordre.

Au départ du camp de Royallieu, chaque partant avait touché une boule de pain et 200 grammes de saucisse pour le voyage, mais le tout nous fut confisqué avec tous nos vêtements dès la nuit suivante, dans les circonstances qui vont être relatées.

Frère BIRIN, 16 mois de Bagne. Buchenwald-Dora par le numéro 43.652, R. Dautelle, libraire éditeur, 1946